La Marseillaise : Que constate la CGT des Bouches-du-Rhône concernant les conditions de travail des salariés ?
Olivier Mateu : On a subi les dispositions prises par le gouvernement. C’est-à-dire des revirements très rapides et l’idée qu’il fallait à tout prix assurer une continuité économique. Cette situation fait passer la question sanitaire au second plan, derrière la nécessité de faire perdurer les activités. Très peu se sont arrêtés complètement. On est dans une ambiguïté permanente entre la nécessité de tenir un confinement le plus global possible pour endiguer l’épidémie et la pression qui est mise sur les travailleurs. Ce sont des contradictions dans lesquelles est enfermé et nous enferme ce gouvernement à la solde de la finance et des organisations patronales du pays. On a vu aussi comment ceux qui sont en première ligne, ceux qu’on considère comme essentiels à la lutte contre l’épidémie, sont dans l’exercice de leur métier. Je parle de la pénurie totale de l’ensemble de protection. Les hôpitaux en sont au point de faire des appels aux dons en permanence aux entreprises. On a aussi des situations où les travailleurs ont fait valoir leur droit de retrait. Ils n’ont pas pu compter sur les services de l’État et ont dû affronter les directions des entreprises au nom de la continuité de l’activité.
Quelles seraient les mesures à prendre pour la CGT ?
O.M. : La première des choses serait très clairement de mettre à l’arrêt les productions et les activités qui ne sont pas essentielles à la lutte contre l’épidémie et à la fourniture des produits nécessaires à la vie courante. C’est ce que veulent absolument éviter le gouvernement et le patronat. À la CGT, on a demandé depuis un moment que le gouvernement établisse une liste des activités essentielles, pour sortir de cette crise avec le moins de victimes possibles. Dans tous les cas, ceux qui sont sur leur lieu detravail doivent l’être dans les meilleures conditions possible en matière de protection. Et dans trop d’endroits, soit la nature de l’activité, soit les moyens mis à disposition font que les travailleurs sont exposés. Macron, le gouvernement et le patronat seront comptables de toutes les victimes de cette épidémie, qu’ils n’ont pas anticipée. Il est hors de question qu’on fasse une unité nationale sacrée avec des criminels et des exploiteurs.
Les différentes mesures de soutien du gouvernement, que ça soit les primes aux salariés ou les fonds dédiés aux entreprises, sont-elles adéquates ?
O.M. : Très concrètement, les mesures annoncées sont là pour satisfaire les grands groupes. Les solutions prônées pour la relance de l’économie sont des mesures libérales et capitalistes, car elles préservent les intérêts de quelques privilégiés au détriment de ceux qui font tourner le pays. Que ça soit sur le temps de travail, les congés, les RTT… Tout ça vient mettre les grands patrons en position offensive contre les droits des travailleurs. Et pour les artisans, les commerçants, les très petites entreprises, les moyens sont insuffisants. Ce sont des entités, et les emplois qu’elles génèrent, mises en danger par un manque de soutien. Également, ils se rendent compte que ceux qui sont en 1ères lignes sont les plus mal payés. Donc ils distribuent quelques primes. Mais la réalité de ces métiers impose que le SMIC soit porté à 1 800 euros par mois et que le point d’indice des fonctionnaires soit dégelé, rattrapé. Si on veut vraiment prendre en compte l’apport de ces travailleurs, c’est ça qu’il faut faire. Une prime reste ponctuelle, d’autant qu’ils parlent en permanence de prime désacralisée, ce sont donc des coups porter à la sécurité sociale. Il ne faut pas attendre de ce gouvernement qu’il prenne de lui-même la mesure de l’effet catastrophique de ses politiques. Ce ne sont pas ceux qui ont créé le problème qui vont le régler.
Cette crise n’est-elle pas l’occasion de remettre sur la table des propositions de progrès social porté par la CGT ?
O.M. : J’ai parlé du SMIC à 1 800 euros mais je pourrais aussi parler des 32 heures. Les trois derniers gouvernements, et on pourrait remonter plus loin, nous ont mis dans cette situation. Une situation de dépendance industrielle et financière vis-à-vis de toutes les instances internationales. Si on veut s’en sortir par le haut, il faut repenser l’ensemble de notre modèle de société. On ne s’en sortira pas avec plus de capitalisme. On ne part pas de rien, on a un modèle social qu’il faut renforcer. Les travailleurs ont fait la démonstration qu’ils étaient capables de répondre à un certain nombre de besoins sans aide réelle du gouvernement et du Medef. Ça peut servir de base à un modèle de société où on parlerait de répartition des richesses et où les dividendes seraient au second plan. Le tout pour assurer l’indépendance du pays, sa capacité à se développer et à coopérer avec d’autres. Il ne suffira pas de rapatrier des usine de production de masques, même si on en manque cruellement aujourd’hui. Il faut déterminer à qui ces outils doivent appartenir. Par exemple, pour la production sur le long terme, il faut la planifier dans le sens de la réponse aux besoins et non du jeu de la spéculation, de la compétitivité. Pour ça, la question de la ré-appropriation collective des moyens de production se pose dès maintenant et il faut créer les conditions pour y arriver. Les outils de production doivent être placés sous contrôle des travailleurs et des citoyens. Sans ça, ils reprendront leur petit jeu. Malgré tout, il y a des choses extraordinaires qui se passent dans la période. Par exemple, la solidarité dans les quartiers. Mais tout ça vient aussi parce que l’État est défaillant.C’est sur ces réflexes de solidarité et de priorité à la vie qu’il faut reconstruire.
Interview réalisé par Amaury Backy pour La Marseillaise dans l’édition du 17 Avril 2020.