interview d’Olivier Mateu, secrétaire général de l’Union Départementale CGT des Bouches-du-Rhône, réalisée à la veille du premier tour de la présidentielle 2022 par le journal « Initiative Communiste »
Question (Fadi Kassem) 1/ Dans une période extrêmement mouvementée et malheureusement pas dans le bon sens. Puisque nous sommes dans une période d’union sacrée belliciste, de campagne électorale atone, avec des confédérations syndicales peu audible. Alors, dans tout ce contexte, comment la CGT 13 agit elle pour qu’émerge un climat de luttes, alors que le pouvoir d’achat populaire plonge et que de nouvelles graves attaques antisociales sont annoncées ?
Olivier Mateu, SG de l’UD CGT 13 Dans ce genre de situation qui déséquilibre forcément les choses et qui perturbe à la fois les individus et les collectifs, nous il nous paraît essentiel de continuer à agir sur nos fondamentaux. Quand on est dans des périodes de troubles idéologiques comme celle-là, il faut de temps savoir revenir aux bases de notre syndicalisme. C’est-à-dire la lutte et la désignation claire des responsables de la situation. Si on veut à la fois être efficace au quotidien et dans le même temps contribuer à l’élévation des consciences de manière massive, on a besoin d’identifier de manière claire à la fois les causes, les conséquences et les moyens pour lutter contre les mauvais coups, et aller plus loin pour s’en sortir. Donc pour cela on considère simplement nous qu’il faut faire de « la CGT ». Et quand je dis faire de la CGT, on pourrait débattre longtemps sur ce qu’est la CGT, sur ce qu’elle a été, sur ce qu’elle devrait être et aujourd’hui et demain, mais la CGT pour exister ce doit d’être avant tout une force de résistance de contestation, mais aussi de construction d’alternative. Dans ce cadre-là, cela nous situe pleinement dans ce qui est l’essence même de la CGT c’est-à-dire la double besogne : être utile au quotidien, être en résistance en permanence, en construction de solutions pour améliorer le quotidien, mais en même temps prendre toute notre part à la construction d’alternatives pour arriver à mettre fin au système capitaliste qui est, en allant très vite, la cause de quasiment tous les problèmes que nous rencontrons. Que ce soit en entreprise ou en dehors. Et ce sur tous les sujets. Cela peut sembler facile, ça ne l’est pas du tout. Ça nécessite de l’engagement et du débat et ça nécessite surtout beaucoup de convictions. La première des convictions c’est de considérer que ce qui nous est imposé comme injustices ce n’est pas normal ni de droit divin. Cela relève de choix
politiques, de choix économiques qui sont contestables et que l’on doit contester. C’est en ce sens que je dis « nous essayons d’être la CGT. » Pas en opposition à d’autres dans l’organisation qui porteraient autre chose, mais pour être efficace et donner envie et des raisons d’y croire aux travailleurs, il faut qu’ils nous voient, il faut qu’ils nous entendent, il faut que l’on construise des organisations partout où c’est possible, que l’on considère qu’il n’y a personne dans le monde du travail qui n’a pas sa place à la CGT. Cela fait maintenant quelques décennies que l’on nous explique que l’affrontement, la lutte des classes sont dépassés ou n’existent plus. Je crois au contraire qu’elle n’a jamais été aussi réelle, aussi prégnante. Qu’on la subit sous des formes vraiment très violentes. Dans un moment où il n’y a jamais eu autant de richesses à disposition pour répondre à l’intérêt général. On prend toujours non pas en opposition mais en exemple la situation qui a conduit à la mise en place du programme du Conseil National de la Résistance (CNR). Si on fait le ratio entre les moyens existants à l’époque et les capacités de production dans la situation actuelle, avec les dirigeants que nous avons, le modèle social que nous essayons de défendre et auquel le Capital s’attaque au quotidien, il n’existerait jamais. Quand on sait que, et ils l’ont annoncé, l’objectif c’est d’en finir avec l’héritage du Conseil National de la Résistance. Nous nous considérons que c’était une belle étape de franchie, mais ce n’est pas le système absolu dans lequel on veut vivre. Si on prend les moyens que nous avons, il y aurait largement de quoi avoir des salaires de très haut niveau, une sécurité sociale intégrale pour toutes et tous, des services publics d’une efficience encore jamais atteinte. Les seules difficultés que l’on rencontre, elles viennent des choix que font les gouvernants, les dirigeants des grands groupes, des grands monopoles. Et cela vient aussi du fait que depuis quelques décennies, on nous explique que par le dialogue social et le partenariat social on peut arriver à régler des choses avec des gens dont certains ont l’impression qu’ils ne seraient pas forcément conscients des effets de leur décisions mais qui le sont en réalité complètement. À ce titre-là, les stratégies qui sont à l’oeuvre depuis au moins vingt ans, de syndicalisme rassemblé, de partenariat social, je ne veux pas dire de collaboration car ce n’est pas juste, mais qui malheureusement nous ont conduit à des stratégies qui relèvent plus de l’accompagnement que du réformisme même. Cela, ça déséquilibre tout. Un, cela n’aide pas les nôtres, c’est-à-dire le camp des travailleurs, tel que je l’ai défini tout à l’heure, de l’ingénieur à l’ouvrier, du privé d’emploi au retraité. Les concepts qui ont été amenés et qui sont encore malheureusement à l’oeuvre, n’aident pas à prendre conscience de la nature des attaques, et des solutions qui existent et qui sont à faire vivre. Pour, dans un premier temps les arrêter, car lorsque
l’on est face à un rouleau compresseur de cette nature-là, la première des choses à faire c’est d’y mettre un coup d’arrêt. Et dans le même mouvement, pas après, dans le même mouvement, travailler à la construction d’une société débarrassée de l’exploitation capitaliste. Je dis bien en même temps car pour conforter les revendications du quotidien on a besoin de pousser y compris jusqu’à l’utopie. Quand on se met nous-même des limites, des barrières dans la revendication, on se prive de moyens de crédibiliser les revendications du quotidien. Ça c’est un jeu très pervers de la part de certains dirigeants des organisations syndicales. À vouloir paraître très réalistes, ils donnent à penser que la seule organisation possible de la société, c’est celle du Capital. C’est en ce sens que je dis que l’on a globalement glissé vers un syndicalisme d’accompagnement. Ce syndicalisme-là, y compris pour ce qui relève de la CGT, il vient perturber les équilibres historiques qui ont créés la CGT. C’est-à-dire en clair les courants révolutionnaires, les courants réformistes qui dans bien des moments de l’histoire ont trouvé des choses à faire ensemble. Qui ont conduit à ce que le débat soit mené en permanence dans l’organisation. Je ne suis pas en train de dire qu’à l’époque tout était parfait et qu’il n’y a pas eu d’erreur de faite, mais quand on fait vivre des conceptions différentes mais qui ne remettent pas en cause l’objectif, cela permet d’élever le niveau. Cela permet d’élever le niveau du débat et de conscience, et des dirigeants, des militants, des adhérents et donc des travailleurs. Quand on bascule dans ce genre de syndicalisme d’accompagnement, forcément, il faut enterrer, il faut empêcher tout débat à l’intérieur de l’organisation. Ce qui contribue à ce que nous vivons aujourd’hui c’est-à-dire une espèce de paralysie, d’atonie, globale. Cela n’aide pas du tout à élever le niveau du débat et donc le niveau de conscience qui est essentiel pour la compréhension des choses, la construction du mouvement social qu’il nous faudrait pour arriver. Je pense que dans la période l’urgence elle est de redonner la main aux syndicats qui sont les propriétaires de la CGT. Parce que ce sont eux qui continuent à se battre, à apporter des valeurs fondatrices de la CGT, au quotidien. Bien sûr que les pratiques que j’ai rappelé il y a quelques minutes, elles ont induit dans les têtes que les réunions avec le patron, cela devait être prioritaire sur beaucoup d’autres choses. Mais quand le niveau d’affrontement atteint le point exigé, les syndicats pour l’essentiel ont le bon réflexe et partent au combat avec les travailleurs. Les travailleurs savent reconnaitre leur efficacité à ce moment-là. On est donc dans un moment où pour être à la hauteur des enjeux, il nous faut poser tous les éléments du contexte, tous les éléments du débat qu’il faut avoir, mais redonner la main aux syndicats pour qu’ils prennent en conscience les décisions nécessaires à ce que la CGT soit l’outil utile et concret pour les travailleurs. A la fois dans la défense de leurs intérêts au quotidien, mais y compris dans ce que nous avons
à construire pour mettre fin au système capitaliste. Ça je pense que dans la période cela passe par redonner la main aux syndicats.
Question (Fadi Kassem) 2/ je te remercie beaucoup pour cette réponse qui à la fois est très complète et permet de poursuivre sur une deuxième question. Comme tu le dis redonner la main aux syndicats, au combat de classe, cela se retrouve à certains moments, par exemple, il y a 9 jours, il y avait une belle manifestation à Paris à l’initiative de la fédération des cheminots. Des milliers de travailleurs venus de toutes la France avec leurs camarades de la CGT. En cette fin mars, début avril, alors que c’est le plein de la campagne électorale pour la présidentielle, plusieurs organisations CGT ont appelé à une action interprofessionnelle. Alors il y a eu la date du 17 mars, puis celle du 31 mars, et c’est intéressant de voir qu’à quelques jours d’un scrutin, ces initiatives existent. D’après toi, est ce que cela pourrait témoigner de ce que tu viens de dire, c’est-à-dire d’une volonté d’en découdre de plus en plus, avec des luttes dans la rue, dans les entreprises ?
Olivier Mateu, SG de l’UD CGT 13 Il faut partir d’un principe, la lutte des classes est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse. Partant de là, parce que ceux d’en face n’ont jamais renoncé à la mener, cela place les organisations de la CGT, toutes, face à leurs responsabilités. On est en énorme difficulté depuis maintenant plusieurs années, pour construire des mobilisations à la hauteur des enjeux, qui passent à la fois par la mise en commun des contenus revendicatifs et des stratégies. Le capital a organisé les choses en France, mais aussi dans tous les pays où il opère, de sorte à ce que pratiquement plus aucune profession ne puisse dire je vais m’en sortir toute seule. Il alterne dans le même temps les attaques, il ne vise jamais tout le monde en même temps, en dehors des réformes des retraites, des choses qui de manière évidente concernent d’emblée tout le monde. Il sait cibler, il sait choisir ses moments. La réalité c’est que nous sommes en face d’une attaque globale, et ce qu’il faut travailler c’est la riposte générale du monde du travail. Si on attend que chaque profession soit à terre ou au bon niveau pour décider d’y aller ensemble sur ce qui fait le comment dans la CGT, je parle en termes revendicatifs, mais en prenant la même comme visée, de faire en sorte que ce qui fait le commun dans la CGT ne signifie pas la négation ou la mise de côté des revendications professionnelles. Au contraire. Y aller sur un cahier revendicatif commun, cela doit forcément être le prolongement des revendications portées par chacune des professions. De façon à faire en sorte que chacun se batte pour soi et contribue à l’élévation globale avec tous les autres du rapport de force. Cela passe donc par travailler les convergences des intérêts, les convergences revendicatives. En prenant encore une fois appui sur le modèle d’exploitation à l’oeuvre actuellement. Si tout le monde est bien séparé, en réalité la quasi-totalité des activités sont interdépendantes. Que l’on soit là du public ou du privé.
Une fois que l’on constaté cela, il faut travailler sur les aspects revendicatifs, de sorte à ce que chacun se sentent pris en compte et copropriétaire de la revendication commune, mais il faut aussi regarder la stratégie. Nous savons très bien que ce n’est pas parce que nous avons raison que nous gagnons. On doit accompagner d’une stratégie qui ne part pas en permanence du constat qu’on est trop faible dans trop d’endroits pour décider d’y aller ensemble, mais bien d’une stratégie qui s’appuie sur les forces qui nous restent. Et elles ne sont pas négligeables. Il nous reste une CGT sérieusement implantée dans un certain nombre d’activités qui sont structurantes de l’économie. Et je redis bien dans le public comme dans le privé. Une fois que l’on a identifié ces secteurs-là, il faut regarder comment on part au combat sans s’épuiser. Il n’y a rien qui nous interdit d’être intelligents dans la stratégie de lutte. Si je prends le combat des cheminots en 2018 et 2019, 2 jours, 2 jours, on sait la panique que cela a mis chez les patrons. Car avec cette stratégie là et pour la faible part qu’il reste de fret ferroviaire qui reste dans le pays, et bien malgré cela, ça a mis en tension tout un tas de secteurs d’activités, que ce soit du commerce ou de l’industrie. Si à ce moment-là, et je ne dis pas cela pour être nostalgique ou vivre avec des regrets, si on prend cette stratégie-là, on y avait collé, par adhésion, une stratégie interprofessionnelle qui aurait consisté à faire en sorte qu’en dehors des jours où il n’y avait pas de trains, tels jours il n’y ait pas de bateau, tel jour pas de camion, tel jour pas de production dans tel secteur, tel jour des grèves, et je dis bien des grèves, dans les plateformes logistiques, par exemple le vendredi pour faire en sorte que les rayons soient moins bien approvisionnés le samedi et le dimanche pour les magasins qui ouvrent le samedi et le dimanche. Si on avait fait en sort que – il y a deux professions qu’il faut mettre en grève reconductible et ça touche à la nature de leur métier, c’est les raffineurs et les agents et salariés de et traitement des déchets, cela il faut les mettre en grève reconductible et assurer la solidarité de sorte qu’ils puissent tenir le temps qu’il y a besoin de tenir pour faire céder le camps d’en face, de cette façon-là, cela permet de sortir du débat dégueulasse qui consiste à dire il y en a qui peuvent faire grève et d’autre non. À partir de ce socle-là de secteurs en lutte, on s’en sert pour donner envie et créer la dynamique pour que les autres regardent de quelles manières, ils peuvent aider et voient ce qu’ils peuvent mettre dans le panier. Ça peut passer par de la grève, du 24h carré, du reconductible, à des deux heures de débrayage, des une heure… Il y a des secteurs ou effectivement, notamment la fonction publique d’État, si tu fais une heure on t’enlève la journée, mais il faut regarder comment ils prennent leur part, trois, quatre journées, cinq, mais que chacun comprenne qu’il n’est pas là en soutien de l’autre, uniquement en soutien de l’autre, mais bien en convergence pour des objectifs communs appuyés sur une stratégie interprofessionnelle confédéralisée.
Ne pas travailler de cette façon-là, c’est faire ce que certains nous reprochent, des appels incantatoires à la grève générale, à la généralisation des grèves. La grève générale, on sait tous que la CGT a besoin de créer un certain nombre de conditions, avec d’autres – on n’empêche pas les autres organisations syndicales de prendre leur part – mais c’est les travailleurs qui décideront s’il y a grève générale ou pas. D’ailleurs quand il y a un appel interpro à 24H, c’est un appel à la grève générale puisqu’il concerne l’ensemble des secteurs. Travailler sur la stratégie que j’évoque là, c’est se lever le mal à la tête sur la question de la grève générale ou pas. Chacun voit ce qu’il peut mettre dans le panier et à la fois conforter, et conscient de ce que les autres amènent. Ça peut paraître un peu rêveur. Mais qu’est ce qui nous empêche de le travailler, qu’est ce qui nous empêche d’essayer ? Ne pas prendre en compte un fait très simple c’est que le Capital dans sa recherche de profits immenses a mis tous les secteurs d’activité en tension. Il n’y a plus de stocks, ni amont, ni aval, nulle part, dans aucun secteur. Aujourd’hui, un certain nombre d’activités industrielles, en tout cas privés sont dépendantes de décisions prises par les services publics. J’évoque cela car on a eu parfois des discussions avec des camarades du public qui nous disaient oui mais moi je suis dans un bureau, quand je fais grève, à quoi cela sert. Ou je suis aide-maternelle dans une crèche quand je fais grève, à quoi cela sert. Bien quand tu fais grève pendant deux heures à la prise de service dans une crèche, pendant deux heures, les parents de l’enfant, au moins un des deux ne peut pas aller au travail car il s’occupe de l’enfant. Et non seulement, tu as mis deux heures dans le rapport des forces toi en tant que salarié, mais tu as fait en sorte que ces deux heures soient multipliés par deux puisque qu’au moins un autre travailleur ne peut pas être à son poste de travail pendant ces deux heures ; ce n’est pas de la nuisance, puisque c’est les conséquences d’une situation voulue, travaillée, par les attaques de ceux qui nous dirigent. L’aborder comme cela, permet de situer chacun dans ce qu’il a à apporter dans le rapport de force. Quand un service d’une collectivité, par exemple le service des marchés publics décale de 24h, 72H, les décisions d’attribution de tel marché, c’est autant de temps que le Capital n’a pas profité de ces sommes là. C’est sûr que pris individuellement cela ne parait pas grand-chose, mais rapporté à la masse de ceux qui s’engagent dans le mouvement c’est autant de grains de sables mis dans la machine capitaliste. Parce qu’ils ont tout organisé pour qu’il n’y ait de stocks nulle part, que tout est à flux tendus, à un moment donné, la machine elle grippera. Et comme nous avons en face de nous quoi qu’on en pense des gens intelligents, ils viendront eux même à la table des négociations nous expliquer d’abord que ce n’est pas beau ce que l’on fait, on leur
expliquera qu’on le fait car ce que nous subissons n’a rien de juste et que les moyens existent pour faire autre chose, et on prendra tout ce qu’on aura à prendre. S’empêcher d’aller au combat comme cela, en s’appuyant sur les insuffisances à la fois d’implantation et de rapport de force de la CGT et de l’ensemble du syndicalisme en France, c’est en permanence nous condamner. Nous amener à devoir dans le cadre du fameux partenariat social à des discussions à froid, sans rapport de force. Et n’importe quel syndicaliste, qu’il se revendique du courant révolutionnaire ou du courant réformiste sait très bien que sans rapport de force, la négociation ne peut rien amener de bon pour les travailleurs. On a donc toutes ces questions-là à traiter dans la période. Elles doivent y compris nourrir les réflexions dans les syndicats de la CGT dans le cadre de la préparation du congrès de l’année prochaine. Mais si on ne s’entend pas rapidement sur cela, je crains que les travailleurs ne nous laissent pas beaucoup de temps avant de se désintéresser totalement de la chose syndicale, et particulièrement de la CGT. Car la CGT n’est pas attendue sur le terrain de la CFDT. Les travailleurs quand leur niveau de conscience ne les mène pas plus loin que le dialogue social ou le partenariat social, c’est naturellement vers les organisations qui prônent l’accompagnement qu’ils se tournent. La plupart de ceux qui adhérent à la CGT ne viennent pas pour faire des compromissions. Ils viennent pour s’organiser et aller à la lutte. Aller à la lutte, contrairement à ce que certains voudraient faire croire, ce n’est pas baisser la tête et foncer droit dans le mur, c’est d’abord faire fonctionner toutes les intelligences pour aller au combat en conscience. C’est de cette CGT là que l’on a besoin, c’est cette CGT là qu’il faut que l’on remette sur pied.
Question (Fadi Kassem) 3/ Merci Olivier, cela permet de compléter la réponse précédente et d’aborder une dernière question qui a été effleurée de manière très indirecte, mais puisque tu parlais du camp d’en face, des difficultés pour le camps des travailleurs à pouvoir apporter toutes les contres attaques à ce que les travailleurs prennent dans la figure, il se trouve que dans le camp d’en face, à la faveur de la tension qu’il y a avec la Russie et la Chine d’une part et d’autre part avec le bloc UE OTAN, le chancelier Olaf Scholtz, met officiellement le cap sur l’état fédéral européen, Macron parle de souveraineté européenne, d’armée européenne, de saut fédéral européen. Dans cette marche accélérée vers l’État européen, qui en réalité n’est qu’un état purement réactionnaire et fascisant, n’y a-t-il pas un risque existentiel pour un syndicalisme de classe issue de notre histoire ouvrière et révolutionnaire en particulier en lien avec la confédération européenne des syndicats ?
Olivier Mateu, SG de l’UD CGT 13 Le premier des risques dans la situation, c’est d’abord qu’il y ait énormément de victimes chez les travailleurs et dans les peuples. Victimes de cette guerre-là que se livrent les capitalistes entre eux, mais qui font que ce sont les nôtres qui meurent ; ça c’est l’histoire qui se répète. D’ailleurs, c’est normal au regard des médias que nous
avons en France et en Europe que le regard soit mis sur la situation entre la Russie et l’Ukraine, mais des guerres il y en a sur quasiment sur tous les continents et ceux depuis la première guerre mondiale. Et à chaque fois elles sont menées pas forcément de façon claire et nette, mais pour les intérêts d’une partie du Capital contre une autre partie du Capital. À la fin ils s’entendent toujours sur notre dos. Malheureusement il n’y a rien de nouveau dans ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine, le danger c’est que comme à chaque fois, par la guerre, le Capital se crée des opportunités qu’il n’avait pas avant le déclenchement des hostilités. Là les avancées catastrophiques qui sont faites, à la fois dans les mauvais coups au niveau social et économique, y compris politique. Les premiers acquis pour le Capital de la guerre en Ukraine, c’est la reconstitution de l’armée allemande. Et au bout encore des milliards captés par les marchands d’armes au-delà du danger même que représenterait la remilitarisation de l’Allemagne. Tout cela s’accompagne en profitant des difficultés d’expressions de notre camp. Et je parle bien de notre camp au-delà même de la CGT. Ça s’accompagne d’une marche forcée vers le projet réel de l’Union Européenne, c’est-à-dire du Capital international, de créer une super puissance qui viendrait écraser à la fois les États et les peuples. Dans cette situation, ceux qui décident, que ce soient les politiques et leurs autorités financières ont malheureusement trop de points d’appuis dans le syndicalisme européen. Cela représente un danger pour nous, à condition que l’on laisse faire. Et dans la mesure où on s’interdirait de dire ce que nous avons à dire à la fois sur la nature de la guerre en Ukraine, et sur les opportunités que se crée le Capital de nous enfoncer un peu plus dans son projet. Tout cela se fait à travers l’Union Sacrée, le pacte de résilience…. Il y a toujours de très bons mots, mais ce que nous avons à défendre ne trouve aucune réponse concrète et efficace dans le projet porté par l’Union Européenne au nom de la finance internationale. Effectivement on est là au coeur même de la double besogne. Savoir, il nous faut à tout prix lutter car ce que l’on se prend dans la tête, je ne dis pas que c’est inédit, mais c’est d’une ampleur… 5% d’inflation, la moyenne des salaires du privé c’est 2,5% d’augmentation, c’est-à-dire que tout ce qui a été arraché y compris par la lutte en termes d’augmentation de salaire ça ne suffit même pas à rattraper l’inflation. Je ne parle même pas du public où là c’est zéro donc c’est en permanence de la perte nette. Oui, il y a un danger, mais ce danger, il pèse d’abord et surtout sur les organisations qui prônent l’accompagnement. On dit toujours c’est au pied du mur que l’on voit le mieux le mur. Oui là on arrive au pied du mur, et le syndicalisme est interrogé à la fois sur son utilité et sur sa visée. En l’occurrence, le syndicalisme CGT l’est un peu plus car les salariés ne nous attendent pas sur le même terrain que ceux qui prônent l’accompagnement et l’intégration forcée au projet européen comme le voudrait la CES
et malheureusement un nombre trop important de confédérations en France et en Europe. Mais, comment le dire, car je ne veux pas banaliser la situation, on est dans l’affrontement de classe ordinaire, c’est le rythme qui change. Je reviens à ce que disais, il y a maintenant un long moment, la seule solution pour nous c’est d’être la CGT. Une CGT qui résiste, qui conteste, qui construit et qui affiche clairement un objectif de sortie du capitalisme. Si cela on ne le dit pas clairement y compris les débats internes sont biaisés car on réfléchit à la façon de faire en disant que l’on veut aller au même endroit alors que certains poussent plus vers la conception CES et certain plus vers un syndicalisme qui reste sur des fondements de lutte de classe. De défense et de préservation absolues des intérêts du monde du travail. On est dans ce moment là où de toute façon le camp d’en face nous pousse à la clarification Il nous faut là tirer rapidement le bilan des 20, 25 dernières années. Constater l’échec des stratégies mises en oeuvre au niveau national, au niveau professionnel, on peut évoquer quelques professions où le nombre de salariés a été divisé par dix, par quinze, donc pour conclure, on a besoin d’être la CGT. Une CGT efficace, réaliste y compris sur les difficultés que l’on rencontre, mais qui n’a pas peur de mener les débats dans et en dehors de l’organisation. Mais à la fin on va y arriver, nous sommes les plus nombreux et nous avons raison. Il faut que l’on se fasse confiance.
Question (Fadi Kassem) et la majorité a toujours raison j’ai presque envie de dire ;
Olivier Mateu, SG de l’UD CGT 13 En plus quand c’est une majorité qui se fonde et se constitue sur un idéal commun, il vaut mieux parfois se tromper tous ensemble en essayant de faire des choses, que de ne prendre aucun risque et au final de réduire le tous ensemble à quelques-uns. Il nous faut être ambitieux, porteur d’un héritage, et surtout porteur d’une responsabilité, faire en sorte que l’on soit utile aujourd’hui et transmetteur pour demain. La CGT elle n’appartient à personne, c’est une vraie oeuvre collective, on ne peut pas faire partie de ceux qui mettent fin. Ce n’est pas possible.